Consistoire de Montréal – Réponse au Projet de loi 60

Réponse au Projet de loi no 60

du

Consistoire de Montréal

Église presbytérienne au Canada

Le Consistoire de Montréal, corps administratif de l’Église presbytérienne au Canada, dépose par la présente sa réponse au Projet de loi no 60 : Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement. Notre réponse est présentée sous forme d’affirmations et de désaccords quant aux points énoncés.

1. AFFIRMATIONS

1.1 Nous reconnaissons et célébrons le caractère unique du Québec en tant que nation et province francophone au sein du Canada, et nous reconnaissons l’histoire religieuse et culturelle qui a modelé ses valeurs, ses lois et son tissu social. Nous reconnaissons et célébrons aussi la présence d’autres communautés linguistiques et culturelles au Québec, dont une grande minorité anglophone, et nous célébrons les contributions de ces communautés dans l’histoire, l’identité et le succès du Québec en tant que régime démocratique libéral. Nous croyons que le Québec s’est enrichi grâce à cette diversité.

1.2 Nous reconnaissons et célébrons la diversité religieuse du Québec moderne. Nous entendons par diversité religieuse le fait que bon nombre de personnes, de familles et de communautés vivent au Québec en exerçant au quotidien leurs vocations, et qu’elles participent à l’ensemble du tissu social en fonction de leurs engagements au chapitre de la foi et de leur identité religieuse. Comme presbytériens vivant au Québec, notre propre identité religieuse est telle que nous nous efforçons de vivre toujours dans l’amour, la justice et la vérité de Jésus crucifié et ressuscité, et de son royaume, de manière à demeurer fidèles à notre héritage théologique et ecclésiastique.

1.3 Nous acceptons et affirmons le caractère laïc de l’État et nous comprenons qu’il implique au Québec l’établissement et le maintien de lois et de politiques par des représentants dûment élus et nommés, conformément au cadre constitutionnel du Québec et du Canada, et aux chartes québécoise et canadienne des droits et libertés. Nous comprenons aussi que le caractère laïc de l’État signifie qu’aucune église et qu’aucun corps administratif religieux n’a le pouvoir d’établir des lois ou de définir une politique sociale. Cette affirmation ne diminue en rien notre conscientisation au fait que les libertés, les valeurs et le cadre constitutionnel du Québec moderne reposent, dans une large mesure, sur l’axe de la foi chrétienne.

1.4 Nous acceptons et affirmons la neutralité de l’État au chapitre de la religion. C’est-à-dire que, tout en reconnaissant les contributions de la tradition chrétienne aux libertés et aux valeurs du Québec, nous acceptons que l’État fasse preuve de neutralité et d’impartialité dans la rédaction et le maintien de la législation. Ainsi, la législation devrait être rédigée dans un langage qui ne repose sur aucune tradition religieuse particulière dans le but de la faire valoir; elle devrait être rédigée dans un langage pouvant être soutenu de tous, et qui s’applique également à tous, quelle que soit leur tradition. C’est ainsi que nous appuyons le retrait du crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale, puisque sa présence donne l’impression que l’Assemblée nationale prête allégeance à Jésus crucifié, et à l’église qui viendrait l’honorer et le suivre.

1.5 Nous insistons sur le fait que l’État doive favoriser l’ouverture et encourager le dialogue entre ses citoyens sur les questions ayant trait à la foi et à l’identité. Nous insistons aussi sur le fait que la reconnaissance de l’histoire et de l’importance de la foi religieuse au Québec met un frein important au pouvoir de l’État, qui dans son incarnation moderne reconnaît très peu de limitations de ce genre. Nous insistons sur le fait que la liberté de religion, telle qu’établie dans les Chartres des droits et libertés québécoise et canadienne, prévoit précisément ce frein contre le pouvoir coercitif de l’État.

1.6 Nous appuyons l’approche sur la diversité et les accommodations, tel que prévue par le rapport de la Commission Bouchard Taylor et réaffirmée dans la plupart des points du présent projet de loi, qui envisage un véritable laïcisme pluraliste dans lequel un dialogue et un débat sains sont encouragés et non pas réprimés au nom d’une conformité artificielle et superficielle externe. Nous appuyons l’hypothèse du rapport selon laquelle la foi religieuse ne serait pas en soi source d’hostilités, car nous pensons plutôt que les croyants ont d’importantes contributions à faire dans notre vie commune. Nous allons même jusqu’à espérer que les différences sur le plan de l’habillement donneront possiblement cours à des conversations riches sur les croyances fondamentales, à mesure que nous négocions collectivement les termes d’un consensus moral auquel nous devrons tous nous conformer.

2. DÉSACCORDS

2.1 Nous sommes sérieusement en désaccord avec l’alinéa 5 du projet de loi et avec les hypothèses profondes sur la foi religieuse et la laïcité/neutralité qu’implique cet alinéa, et l’ensemble du Projet de loi. L’alinéa 5 s’énonce comme suit : « Un membre du personnel d’un organisme public ne doit pas porter, dans l’exercice de ses fonctions, un objet, tel un couvre-chef, un vêtement, un bijou ou une autre parure, marquant ostensiblement, par son caractère démonstratif, une appartenance religieuse. »

2.2 Nous n’acceptons pas que la diversité religieuse signifie simplement une diversité de croyances de nature privée. Une telle perspective ne prend pas au sérieux la foi religieuse telle que l’entendent ses praticiens, soit la foi religieuse en tant que façon de voir et de vivre dans le monde. C’est l’échec du gouvernement à comprendre la nature et l’identité de la foi religieuse, un échec profondément enraciné dans le Projet de loi no 60, qui l’a progressivement conduit à miner les droits et libertés des croyants.

2.3 Nous n’acceptons pas que la laïcité et la neutralité de l’État implique que ses lois et ses politiques soient présentées en avant-projet sans référence à quelconques hypothèses théologiques ou métaphysiques sur la personne humaine et sur la communauté humaine. Tant le législateur que les citoyens devraient reconnaître cette réalité et rechercher la transparence dans l’articulation de telles hypothèses. De plus, nous notons que le dialogue interreligieux dans une société démocratique est profondément bénéfique, car il nous permet de discuter des hypothèses les plus profondes sur la vie humaine et du bien-être, et d’explorer parfois des présuppositions non envisagées qui façonnent nos vies et nos lois.

2.4 Nous n’acceptons pas que les symboles religieux et les vêtements (turbans, kippas, hijabs, croix et autres) soient en marge de la foi religieuse et qu’ils puissent être enlevés sur un coup de tête, comme si on enlevait un chandail de hockey après un match. Nous rejetons aussi l’hypothèse du Projet de loi no 60, et de ceux ayant avancé ce projet de loi au sein de la législature, voulant que l’État puisse déterminer si de tels symboles et vêtements sont significatifs à une tradition religieuse ou se situent en périphérie. De tels jugements appartiennent à ceux qui perpétuent des traditions religieuses particulières, et non pas à l’État.

2.5 Nous n’acceptons pas que la neutralité de l’État signifie que ceux qui agissent comme employés ou agents de l’État ne doivent pas porter des signes distinctifs extérieurs indiquant leur foi ou leur identité religieuse. Cette approche représente un laïcisme militant qui omet d’honorer la diversité au Québec, et de reconnaître le rôle que jouent le dialogue et l’ouverture dans une démocratie libérale. Elle omet de reconnaître que le rôle de l’État est de nourrir cette ouverture. Nous en concluons que l’approche du Projet de loi no 60 reflète un laïcisme oppressif et dogmatique qui cherche à mettre en veilleuse l’opinion et la vie publique de ceux qui perpétuent des traditions religieuses particulières.

2.6 Nous n’acceptons pas les hypothèses sous-entendues du Projet de loi no 60 à l’effet que les citoyens du Québec, dans leurs interactions avec les employés ou les agents de l’État, sont incapables de faire la différence entre l’identité religieuse particulière d’un employé ou d’un agent, d’une part, et l’État laïc et neutre auquel cette personne offre son savoir-faire et son temps. Nous insistons sur le fait que les citoyens du Québec sont capables de formuler leurs propres jugements, et que ces jugements sont fondamentaux et vitaux dans une culture riche et diversifiée.

2.7 Nous regrettons que le Projet de loi no 60 ait été présenté à l’Assemblée nationale. Nous voyons qu’il a nourri la division et la suspicion entre Québécois. Ce projet de loi, en outre, n’a que peu nourri le type d’ouverture et de conversation songée vital dans un Québec moderne et diversifié.

CONCLUSION

C’est avec respect, espoir, et dans un esprit de prière que nous offrons cette réponse au Projet de loi no 60. Nous prions l’actuel gouvernement de retirer ce projet de loi ou, à défaut, à l’Assemblée nationale de le rejeter. Autrement, nous insistons auprès du gouvernement et de l’Assemblée nationale afin que soient promues uniquement les parties du projet de loi qui font l’objet d’un soutien presque unanime au Québec et au sein de l’Assemblée nationale.

Le 21 janvier 2014

Montréal (Québec)